28 mai 2008

Imaginer (lumière)

Blanc soudain. Nitescence absolue qui obstrue la nuit et ses troués jaunes irrégulières, de façades en façades. Instantané jour frémissant, glissé sous le voile sombre et ses larmes à rebondir sur le zinc lépreux. Sitôt passé que disparu, immédiatement vaincue par la chape de gouttes, pas même une survivance entre elles. Mais la rétine s’en souvient, la pupille reste pétrifiée en un minuscule oubli, une petite goutte d’encre qui ne peux plus dire le monde autour d’elle ; il est alors et reste un instant cette lumière omniprésente. Le temps de déguster l’illumination, la perte soudain de tout repère, la chute qui guette, celui aussi de sentir monter le manque, le besoin de reliefs et d’ombres, jusqu’à n’en plus tenir, ouvrir un peu les deux diaphragmes bleus encore tremblant, les amadouer, chercher à nouveau le monde. Ignorer ce qui vient.

20 mai 2008

Imaginer (traces)


Eau
sang
traces au sol
Ce que laissé, oublié autant que perdu, dès l’instant où détaché de soi

En miroir du corps plaqué par son poids, empreintes de plantes, voutes, quasi-anatomique sinon que cette surface qui les porte les transperce, sable, vélin sous l’encre, buée pour paume
Souffle comme pas
En taches, dégoulinures et trainées, imprimées depuis que tombées là, bitume ou étoffe, échappées au corps, juste viscosité parfaite, couleur, odeur même et goût, âpre et salé, entailles et plaies
Ouvertes

Sur lesquelles se retourner, y revenir, le temps qu’elles sèchent, bues-évaporées
Les oublier
S’y accroupir, guetter l’écarlate passer carmin et se ternir lentement jusqu’au deuil
Qu’elles disparaissent

Plante d’eau sur le sable, paume d’absence sous buée
Encore
Humeurs, essences au sol, souvenirs secs, tenaces, indélébiles
Cicatrices

19 mai 2008

Imaginer (adobe digital éditions et linux)


Lisant le passionnant dernier billet de François consacré au livre électronique, j’y apprends qu’Adobe Digital Editions propose une nouvelle façon d’aborder le livre électronique. Il était temps, me dis-je… Le geek jamais vraiment caché en moi se réveil donc, je clic sur le lien vers un tant espéré logiciel multiplatforme de lecture numérique… Las, j’aurais dû m’en douter, j’apprends dans l’onglet dans lequel la page c’est affichée que « désolé, mais votre système ne réponds pas les besoins de systèmes minimaux. »
Qu’a donc mon système ? Alors même qu’Adobe™ annonce fièrement la sortie sur Mac™, Windows™ et Linux de la verison béta du nouveau player flash, et par là même un effort d’ouverture de leur logiciels.

Dire que c’est une réelle surprise, ou une nouveauté… non.
Je démarre donc le dernier Windows™ qui tourne encore ici, me rends sur la page de téléchargement d’adobe digital édition, qui me propose immédiatement de l’installer… il semble bien que ce ne soit en fait qu’une application en flash — déroutant, car le clic droit ne donne jamais rien dans l’application.

La bonne nouvelle, maintenant.
En cliquant avec le bouton droit sur le lien nouvellement créé sur le bureau windows, il est possible via les propriétés de trouver l’adresse exacte de l’exécutable (un « .exe », donc) et de le copier dans une clef usb ¹.
Un fois de retour sous linux il suffit, si ce n’est pas déjà le cas, d’installer wine, qui permet de faire tourner des applications Windows™ sans avoir a lancer une machine virtuelle pour laquelle, de toute façon, je n’ai pas la licence sur mon ordinateur.
Wine est dans toutes les distributions linux récentes, l’installer ne devrait prendre que quelques clics ou quelque chose comme ça dans la console : « sudo aptitude install wine » pour les ubunteros et autre « débianneux ».
Une fois wine installé, il suffit de naviguer vers la clef usb et, d’un valeureux quoi qu’incertain, double clic sur « digitaleditions1x5.exe » ou « wine LECHEMINVERSLEXECUTABLE/digitaleditions1x5.exe » dans une console, lancer le processus d’installation comme sous Window™ ².
Tout semble se dérouler pour le mieux, un nouveau dossier « My Editions » est créé dans le répertoire personnel, les pages d’aide s’ouvrent dans firefox (bravo pour tous les raccourcis clavier… mais où est celui qui fait un vrai plein écran ?).
Par la suite, Adobe Digital Editions est accessible dans le menu Applications > Wine > Programmes > Adobe Digital Editions et peut-être lancé comme toute autre application linux.

Voilà, j’espère que ça évitera a quelques lecteur la nécessité de passer par un système d’exploitation dont il ne veulent pas pour… lire un livre.

¹ j’aurais bien, ici mis un lien vers cet exécutable, mais je doute fort que la licence m’y autorise… si vous n’avez pas accès à un système d’exploitation soutenu par Adobe™, en cherchant entre ici et là, vous devriez trouver.
² Je sais, ce ™ devient fatiguant à la longue… mais il est sous mes doigts et sers mon propos, alors…

Imaginer (ce n’est pas moi qui le dit)

1. C’est un jeu féodal, fondé sur l’Exaltation du Tournoi et l’inégalité sociale.
2. C’est un jeu dont les règles varient tous les trois siècles.
3. C’est un jeu d’une antiquité contestable (à peu près contemporain de la canasta !).
4. C’est un jeu qui (comme les dames !) ne connaît que trois issues sans nuances : la victoire, la défaite, le nul. On gagne, on perd, certes mais on ne peut pas gagner d’un point, ce qui est l’un des suprême raffinements du GO !
5. Pis d’abord, c’est pas un jeu qui rend Poli !
6. Deux joeurs de force différente ne peuvent pas jouer ensemble avec intérêt pour le plus fort.
7. Une partie d’échecs dure tout au plus trente coups.
8. C’est un jeu confus où il n’y a pas deux pièces qui fassent la même chose.
9. Nous ne savons pas jouer aux échecs.

Il est inutile d’ajouter que le GO n’a aucun de ces manques (à l’exception du point n°9, mais, en France, nous sommes à peu près les seuls à le savoir).
PIerre Lusson
Georges Perec
Jacques Roubaud
« Petit traité invitant à la découverte de l’art subtil du go »

11 mai 2008

Imaginer (homunculus)

Petit ou grand, qu’importe, homme.
Sexe entre les deux non-jambes, deux fines baguettes articulée par un genoux mort et un souvenir de pied au bout de chacune d’elles. Elles ne portent pas, ne marchent pas pour, l’une puis l’autre, pour ; le tronc concave, soutenu à peine par une grande cyphose douloureuse qui retrouve sa lordose par instants, pour un temps, avant que la douleur de cette cambrure ne fasse retomber le dos dans sa catatonie habituelle, tenant sans cesse à son sommet deux épaules, presque pas épaules, suffisamment pour les bras mais rien par rapport au hanches, larges, épaisses et joufflue : ce sur quoi s’asseoir. Car définitivement assis, ischions plantés — d’où la non nécessité des jambes et ce gros bassin confortable bien que pas tant de poids au dessus.
Grosse tête incongrue sur une telle absence de corps, comme chez les deux autres ; moteur ou sensitif. Mais elle ne bouge que très peu, son seul objectif étant celui de placer le regard, droit devant, afin de s’assurer que des mains surgissent ce que souhaité d’elles. Deux yeux, donc, mobile dans le cadre restreint de ce qu’a guetter, ils ne se cognent même plus aux bornes de ce que vu, les savent trop bien. Quelque peu d’oreille mais la musique écoutée ne nécessite pas tant d’oreille que ça : le silence total serait tout aussi bien tant qu’il isole et fait oublier cet encombrant univers tout autour. Jamais eu de bouche tout du moins pas celle qui mange, qui parle, celle qu’une langue horrible comble, dont elle déborde. Tout juste celle qui marmonne, qui rumine pour les doigts.
Les bras ne sont pas plus que ce que sont les jambes ; mains posées pour ignorer un peu plus les épaules, les délester de leur poids, ils ne sont qu’un frêle lien. Tout juste l’un d’entre eux, accompagne-t-il — de plus en plus rarement, tout est pensé pour être sous les doigts — sa main jusqu’à chercher le système de pointage, peu importe lequel, pour quelques petits ajustements et validations, assez rare finalement. Pour les respiration en fait, les instant où il s’oublie à ce qu’il est, trouve en une inspiration une forme commune. Ce bras là est donc légèrement plus développé que l’autre, et cette fonction unilatérale est sans doute la cause des déformations du dos, des épaules, jusqu’à celles du cou et un angle bien particulier que prend la tête parfois.
Reste deux mains imposantes, miroir l’une de l’autre, larges. Cinq doigts chacune dans l’idéal, chacun endurant sa charge de travail respective, la plus équitablement répartie. Ils ne cesse pas de bondir en tous sens bien qu’en fait revenant toujours à la même position de base, ces huit touches où ils travaillent encore et s’échapperont furtivement avant d’y revenir. Bien que tous s’agitant pour un même but il semble qu’ils aient chacun leur vie propre et que manque la clef qui décoderait ce ballet incessant. Le pouce devrait être mis a part compte tenu de sa fonction. Il est beaucoup moins gros que ce qu’il pourrait être car c’est finalement lui, le plus mobile, qui se retrouve a en faire le moins, sa fonction d’opposition, si caractéristique de ce corps dont il se croyait faire partie ne lui servant plus a rien.
Les autres doigts sont, eux, sensiblement identiques, bien que de tous ce soit l’auriculaire qui soit le plus méconnaissable : il est grand et a encore gagné en mobilité. Ce sont parfois treize direction, treize cibles qu’il lui faut atteindre, enchaîner parfois, et répéter fébrilement d’autres quand, finalement, ça ne va pas. Qu’il faut effacer, recommencer. Se retourner, repartir en arrière pour reprendre là où il semble qu’un autre chemin soit possible, bien que pas d’autre chemin visible, bien entendu, pas plus qu’ailleurs, mais une possibilité, oui, un espoir nourris par la direction souhaitée.
Mais c’est encore dépenser de l’énergie que de revenir en arrière et marteler ainsi le retour sur les mots, une souffrance, la crainte d’un futur regret. De l’énergie perdue pour ces mots un a un, et leur perte ensuite ; les doigts à s’agiter ainsi pour tout le reste immobile — d’une fesse à l’autre, parfois, à peine ; les yeux à suivre bien que les paupières se ferment de plus en plus souvent, que les yeux s’échappent du cadre, ne regardant rien de plus mais laissant le lien entre l’idée et les doigts se tendre un peu plus, dans l’espoir qu’aucune perte ne survienne.
Chaise, clavier, écran ; homunculus bloggeur.

10 mai 2008

Imaginer (O’Reilly france ferme)


J’attends que la feuille, teXte ou àmontour développent l’info, mais j’apprends que les éditions O’Reilly France ferment ; liquidation judiciaires.
Les éditions O’Reilly, dans le domaine bien spécifique des livres informatiques, me paraissaient incontournables. Mon « LaTeX par la pratique » est tout corné et j’espérais bien voir surgir un « ConTexT par la pratique », un jour. Ce sont des livres bien traduit (les traducteurs français sont eux-même des experts du dommaine qu’ils traduisent et ils écrivent des chapitres spécifiques à l’usage du français), avec une belle mise en page, un reliure solide… bref, un vrai travail d’édition.
C’est d’autant plus triste que c’est un éditeur qui a très tôt choisi de mettre en place des livres numériques (sans DRM, avec création d’un format de documentation électronique, le docbook, en plus), décision favorisée par le fait qu’ils travaillent pour un domaine dans lequel la lecture à l’écran et la recherche plein texte est une réalité quotidienne.
Malgré 40 % de leurs ventes en numérique, un manque de temps auquel s’ajoutent baisse du dollar et subprimes ont enterré la petite filiale française.
Plus d’explications ici (dans les commentaires on apprend que le site rapportait 20 fois plus qu’il ne coûtait…).

6 mai 2008

Hum…

Plates excuses pour l’avalanche de fautes d’orthographes du précédent billet.
C’est que malgré toutes ces lectures l’orthographe, la grammaire et la conjugaison ne me sont toujours pas naturelles.
Comme si la langue, bien que lue, m’était en premier lieu un son, une musique — et j’aime beaucoup ça…

Imaginer (inventaire)


Inventaire, en retard, pour répondre à la question de François.

Le premier. Sorti de la bibliothèque du salon, de la même place que celle qu’il occupe aujourd’hui encore. Couverture rouge, papier bible, épaisseur incalculable et poids dans les mains du haut de ces premières années de primaire : les Trois mousquetaires. Mais mon grand frère venait de le lire, lui, alors pourquoi ne pas faire de même ? Je ne sais pas bien ce qui m’en reste sinon le sentiment d’un début, d’une plongée.

Dix ans, vacances en Irlande, les longs trajets en voiture et tout autour, le vert. Parvenu trop vite à épuisement de la pile des vacances, c’est Cent ans de solitude que j’extrais des affaires de mon frère, lu, re-lu. Dix jours, pour deux cent ans, finalement. Un frisson dans l’écriture, tout au long du livre, la construction lente.

Une prof de français — on disait comme ça, prof — en quatrième. La honte, sans doute d’avouer avoir dévoré ce Madame Bovary contre lequel les autres élèves pestaient en se réfugiant au mieux dans le « profil d’une œuvre » que je n’ouvrais pas, que je n’arrivais pas a lire pour y trouver des réponses toute faites, petits livres rouges qui se cachaient au regard des enseignants. Avoir pris du plaisir dans la musique des phrases, dans le long déroulé soyeux et l’exactitude de la ponctuation. Sans rien saisir vraiment de la profondeur du roman.

Première scientifique, cours de français morne, le chignon trop stricte de celle qui nous disait cette Duras dont le Barrage nous donnait à entrevoir une finesse des sentiments, et la justesse du creux dans lequel elle les faisait naître. Comment s’imaginer alors qu’elle devait, derrière la bouche trop pincée qu’elle nous opposait, murmurer cette lettre d’Émilie L. que je finirai par dire des années après, sous chapiteau, devant ces circaciens interloqués ; torse nu, pantalon taï, musique de Michel Portal : je n’avais finalement pas jonglé. « Je ne sais pas si l’amour est un sentiment. Parfois je crois qu’aimer c’est voir. C’est vous voir. ».

J’ai du mal a classer précisément ici Boulgakov, Gogol, Zweig… Ils ne sont pourtant jamais loin quand j’évoque les vacances de ces années-là.

Études de kiné, autour des vingt ans, train au départ de gare du nord en route chaque matin pour la clinique Champs Notre-dame de Taverny. Entre les mains Dans la solitudes des champs de coton que mon père y avait glissé. Arriver à la dernière page, le souffle court, les lèvres sèches. Se retrouver soudain, soi, seul, devant la fin d’un livre. Perdu comme en deuil soudain. Retour a la première page, comme s’entailler la peau à nouveau pour être certain de la sensation qui en découle. N’en être toujours pas certain.

Premières années de travail, vingt-trois ans peut-être, Antoine parlait de Céline, de Modiano ou de Flaubert en s’emportant. Nous, nous les dévorions en silence, ne sachant que dire de ce mouvement perpétuel dans lequel nous plongions, une bouteille bleu comme à portée de main, dans la bibliothèque. Passage à la librairie il me met Mémoire d’éléphant dans les mains. J’ai par la suite découvert bien d’autres merveilles dans les autres livres d’Antonio Lobo-Antúnes, mais c’est dans un train entre Paris et Marseille que j’ai plongé dans cette folie qu’il manie si bien.

Je ne sais pas bien quel livre de Claude Simon mettre là. J’allais les chercher dans la petite bibliothèque de ma mère, de son côté du lit, au milieu des Buzzati, Duras et autres qu’elle aime garder près d’elle. Je crois y avoir entre autres choses trouvé le goût des longs apartés, du creux des phrases où le lecteur se retrouve face à lui-même. La jalousie quelques années après me plongera dans un vide encore plus vaste, j’essaierais en vain de convaincre mes patients de lâcher cet Harry Potter que je ne lirais pas pour s’essayer à ces délices-là.

Vingt-cinq ou vingt-six ans, passage chez les amis du quartier avec qui nous préparions ma présidence de l’association. Mes yeux traînent sur la petite bibliothèque de théâtre d’Amandine, ils s’arrêtent sur Compagnie d’un Beckett dont je n’avais que vaguement parcouru le « Godot » bien des années avant. Elle me le prête à la condition expresse de le lui rapporter. Lu deux fois de suite cette nuit là, totalement perdu, incapable de savoir ce qui s’était passé entre ces lignes, traversé par trop de sentiments pour décider celui qui me coulait finalement des yeux, après avoir ouvert un gouffre dans ma poitrine. Livre rendu à sa propriétaire le lendemain, une fois mon exemplaire acheté. Étrange besoin de la possession, moi qui n’ai jamais été trop fétichiste de l’objet livre. Premier texte que, plus tard, après avoir lu tous les Beckett, je rentrerais dans l’ordinateur, immédiatement suivi de Soubresauts, infini.

Il faudrait placer par ici les premières lectures et découvertes sur le net, les signets accumulés.

Il arrivera bien un jour où je lirai les Proust que je n’ai pas lu : ils sont dans la bibliothèque, ces poches jaunis que Frédérique, lectrice attentive et anonyme de ce premier texte lancé sur la toile, m’avait apporté lors de notre première rencontre, avec un petit post-it collé sur le premier tome « Tu peux les garder Ils ont tout mon temps ». Elle ne comprenait pas que je n’aie jamais lu Proust. C’était pour moi un tel monument, je ne me sentais comme pas vraiment le droit ou les capacités de le lire. Je me souviens pourtant de ces temps durant lequels — je devais avoir vingt-six ans — chaque matin, le premier geste était d’attraper le fort volume d’alors et mes lunettes. Et ne sortir des draps qu’après avoir avancé dans la magie des phrases, dans la profondeur de ce qu’elles racontent. Aujourd’hui, sans que j’en sois étonné, c’est un nénuphar qui me vient en tête quand je repense à ces lectures. Malgré tout, à l’époque, c’est Antoine Emaz, trouvé sur remue.net que j’affichais dans la salle d’attente.

Puis il y a eu la préparation du spectacle, le voyage à Prague, la (re)lecture de Kafka, la découverte de Blanchot par De Kafka à Kafka, encore un train, encore une porte ouverte, ou devinée sans oser l’approcher, ou savoir comment l’approcher. Kafka donc, jusqu’aux quatre dernières nouvelles publiées. Un artiste du jeûne.