2 nov. 2007

Imaginer (double bass)






Trois.
Deux et celui qui chante à l’oreille. Trois dans le noir. Non qu’ils ne soient pas éclairés. Au contraire. Seuls eux le sont. Mais tout l’immense reste n’est qu’obscurité. Tant obscurité que chacun n’est finalement qu’un, avec sa lumière, au creux du noir. Eux-même ne voient que du noir. Et s’ils ouvraient les yeux — ce qu’il feront peut-être à un moment — tout l’autour ne serait que noir de même. Tout sauf les deux autres, bien entendu, éclairés de même que celui qui regarderait alors. Les regarderait-il pour autant ? Rien n’est moins sûr. Qu’il soit celui qui chante à l’oreille ou un des deux autres, il préfère les écouter. Sans doute, s’ils ouvraient les yeux, regarderaient-ils le noir. Avec une préférence pour le noir qui se trouve juste en face d’eux. Il le faut, bien que tout ce qu’en face devienne une incertitude, un doute lorsqu’ils sont ainsi dans le noir. Quoi qu’il en soit, leurs yeux sont la plus grande partie du temps fermés. D’autant plus s’ils chantent à l’oreille. Non, pas ils, mais il, puisque un seul chante. Et pas vraiment à l’oreille. Elle est trop haute pour que, courbé comme il l’est, sa bouche y parvienne. Les autres aussi, bien qu’assis, sont en quelques sortes courbés, sans raison apparente de bouche ni d’oreille. Tout du moins les imagine-t-on facilement courbé. Comme on imaginerait tout autre qu’eux courbé de même dans cette situation. Pour entrer dans l’image.
Il lui chante à l’oreille surtout lorsqu’il est seul, ou tout comme seul puisque il ne l’est jamais totalement, les deux autres l’accompagnant dans cette boucle. Et, au fond du temps, chantant tandis qu’il la referme, il s’apprête à la reprendre pour eux. Chantera-t-il alors ? Peut-être, courbé comme il l’est, se laissera-t-il chanter à l’oreille à son tour. Quoi qu’en fait nul ne sache si, quand il chante, il chante pour ou avec. S’il accompagne, s’il souffle, imite, ou s’il encourage. Peut-être même ne chante-t-il ni pour ni avec. Peut-être n’est-ce que pour lui. Ce serait la raison pour laquelle il reste là, dans le cou, dans le noir, sans chercher l’oreille. Lui pour lui comme elle pour elle. Dans les bras l’un de l’autre sans nulle autre nécessité de communication. Marmonnant chacun pour eux, bercé par le crépitant d’à côté… non. Il chante à l’oreille, l’image est ainsi qu’il lui chante à l’oreille. Et qu’elle lui répond, l’accompagne, lui souffle ou l’imite, nul ne sait. Mais, toujours, le crépitant les bercent. Lui en fait n’était pas là au début. Il avait sa lumière, dans le noir, mais ne crépitait pas encore. Ils se sont tu pour qu’il se lance ; puis l’ont rejoint ; et depuis, à mesure que les boucles se bouclent, il crépite de plus en plus, avant de cesser à nouveau et de se taire à jamais comme les autre à l’issue de la dernière boucle.
Sans doute entend-il le chant. Bien que ce dernier ne soit pas à son oreille et que celle-ci ait le crépitant pour elle, il écoute le chant. Et le berce dans la boucle. Trois donc. Celui qui chante à l’oreille, le crépitant, et le troisième. Courbés sous la lumière, dans le noir. Pour l’image.

Et le son.


Musique : « You look good to me »
We get requests (1964)
Oscar Peterson (p), Ray Brown (b), Ed Thigpen (d)
(Qui sera rapidement retiré de ce site, oui, et immédiatement
sur toute demande de la maison de disque, naturellement)

1 commentaire:

Marion a dit…

belle decouverte. a lire et relire. (merci)