« Le moment est venu de ne faire plus qu’un.
le moment est venu de détruire sa maison pierre par pierre.
le moment est venu de se lier les pieds et les mains et la langue et la tête.
le moment est venu de se précipiter corps contre corps, de se mêler corps contre corps, de fondre les corps dans les corps. le moment est venu de l’abandon et de l’anéantissement dans le gouffre glacial, aveugle, immobile grondant, et souverain de… »
B-M Koltès La marche
Sous les pas le temps, solide soudain, résonne au talon, marquant au corps pas à pas la vibration du passé qui pousse l’autrefois jusqu’au maintenant en un frisson. L’image se trouble un instant sous les yeux a ciller, revêt le costume d’avant, au même gris que celui du présent. La marche ne trouve plus rien du terrain souple coutumier qui d’habitude comme pousse au lendemain et roule, dans le dos, les vagues une à une d’hier, dont l’écume glisse aux talons un instant encore avant de s’abandonner à la mer du souvenu. Roulent encore au fond, dans l’attente d’un retour, peut-être, à la grève. Chaque pas à pas dans les os révèle tel grincement de la poignée, tel poids de la porte contre laquelle l’épaule — ces os là aussi — lance son présent et se heurte aux souvenus, lourd ; tel froid sous la dentelle lactée de la main, aux vertèbres saillantes sous la peau apeurée ; l’espace que l’extérieur ne présuppose pas et duquel naît l’écho ancien que la semelle écrase sur le béton poussiéreux ; de chaque horizon-mur à trois cent soixante autour se détache un mur, gris encore, que l’os connaît, il s’y voit s’y presser, s’en extraire avec image, sons, odeurs, y retourner une fois le regard passé. Ne plus marteler, pas à pas, clore sur prunelle, se creuser pour atteindre l’os et chercher les détails, serait renaître au présent, charpente comme neuve sous la chair, mais fissurée peut-être, prête à rompre, à se fendre, et s’écrouler jusqu’aux caroncules, ici au creux de la rémanence du temps. Frapper encore Chronos sous les pas ; sortir, trouver la porte vers le présent du dehors ; marcher encore jusqu’à ce que le sable se glisse en dessous à nouveau ; retrouver pour finir la mer lente dans le dos, alourdie elle aussi de tous ces os noyés, souvenus.
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