29 avr. 2008

Imaginer (poussière)


C’est à présent en creux que la ville se crée, dans les espace qu’on y laisse comme on s’y déplace, chaque pas abandonnant en mue le souvenir d’une présence passée. Un désir, tremblant un instant encore dans l’épaisseur de l’air.
Y revenant on ne s’y retrouve pas ; un comblement a eu lieu, par un autre, occupant l’espace sitôt que créé, la nécessité d’espace attirant immédiatement de nouvelles existences et le besoin de combler ; ou, dans les espace clos de la vie que l’on voudrait privée, le comblement a lieu par la poussière de l’absence qui s’y accumule trop vite. Qu’on reconnait parfois avec difficulté comme étant la sienne, et celle des proches qui sont passé par là, puis ont disparu.
On est sans cesse confronté aux creux des autres, attiré soi aussi, par ces souvenirs souvent anonymes dans lesquels on passe, vite, sans vraiment de conscience de ces présence muettes, ni du fait qu’on ait été attiré. On en garde pourtant la trace en y mêlant la sienne, comme d’un toile abandonnée par son araignée et qui colle à la peau du passant qui s’aventure dans un de ces lieux de souvenirs, déserté.
Ce ne sont que bribes ténues ne contenant souvent rien qui nourrisse vraiment mais il est des ravissements inattendus presque autant qu’inexplicables dont l’écho fait soudain s’effondrer en soi une base si lointaine et profonde qu’on ne la connaissait plus. Tituber alors et sentir la vieille vase remonter jusqu’aux caroncules, pousser au crâne. Ça pue et ça colle mais on s’y vautrerais bien quand même tant on sent au fond la possibilité d’un minuscule trésor à exhumer, ou tout simplement le plaisir de cette fange là dont a force de fuite on avait fini par oublier la douce chaleur.
On s’en extirpera, poussé par une douleur trop entêtante, à moins que tiré par une conscience plus forte que l’oublié ressurgi, titubant peut-être un peu, abandonnant un zeste de cette chute au prochain qui passera par ce creux ; poussant la ville un peu plus avant dans ses circonvolutions.

20 avr. 2008

Imaginer (Kantor)

« Ce n’est pas vrai que l’homme moderne est un esprit qui a vaincu la peur.
Ce n’est pas vrai !
La peur existe.
La peur devant le monde extérieur, la peur devant le destin, devant la mort, la peur de l’inconnu, du néant, du vide…
Ce n’est pas vrai que l’artiste est le héros ou le conquérant intrépide, comme nous l’apprend la légende conventionnelle.
Croyez-moi, c’est un homme pauvre et l’impuissance est son lot, il a choisi sa place face à la peur. Pleinement conscient.
C’est dans la conscience que naît la peur. »
Tadeusz Kantor

15 avr. 2008

Imaginer (porter)

Du plus loin il porte la mort sur ses épaules. Il l’imagine : une sphère, immense et pesante, sans que ne l’ai jamais vue ni sentie d’aucune manière sinon cet affaissement dont il décida très tôt qu’elle en était la cause. Il ne peut imaginer d’autre cause ; ni l’imaginer autrement. Il essaie pourtant. Mais toute tentative n’aboutit qu’à cette masse sphérique sur ses épaules, à laquelle, malgré l’évidence de toujours, il n’a jamais pu se faire ; pas même une lassitude de la pensée qui, à défaut d’alléger le corps, libérerait l’esprit. Il n’en remet pas moins cette certitude à l’épreuve tout le jour, pour trouver une autre évidence que la mort. Simultanément, il cherche un moyen de se débarrasser d’elle et décide que, lentement, au fil des ans, elle céderait et s’éroderait, se faisant à mesure plus légères aux épaules, cependant qu’une fatigue totalement inconnue au départ ne cesserait de croître sur le même rythme dans tous le corps.

Il s’en convainc.
Mais il ne sait en fait si le poids diminue vraiment, ni si la fatigue gagne, puisque la difficulté quotidienne, elle, reste, telle que toujours, cet affaissement dont il fait l’objet, l’entraînant inexorablement vers le sol.
Sans, à vrai dire, que sa position n’ai changée tout ce temps — sinon il y a longtemps qu’il aurait touché ce sol qui le porte — mais il est malgré tout sans cesse comme projeté vers lui. Et ne saurait lutter contre cet entraînement.

Ainsi allait-il de longtemps maintenant, supposant une mort patiemment vaincue, une fatigue galopante, toutes deux enfermées dans l’immuable effondrement quotidien. Arrivera un jour pense-t-il, où, la fatigue à son comble, la mort ne sera plus rien ou presque, un grain intangible, une poussière d’elle-même. Tant rien qu’un faux geste, elle lui échapperait. Seul avec sa fatigue, il lui succomberait.

9 avr. 2008

Imaginer (question)

Ne lui posez pas la question qu'il vous sait vouloir lui poser.
Au seul nom que vous prononceriez vous détecteriez peut-être un tremblement ; il tremblerait, sa voix le dirait dans sa réponse, cette perte d'intonation, qui fait tomber les mots dans la gorge.
Mais en fait, il aurait frémi avant ce nom. Sachant qu'il allait être dit.
Il le saurait dès le début de la question — il a cette peur que vous le disiez — et ainsi, une fois votre question posée, il y aurait déjà une éternité qu'il aurait été happé par elle, par ce qu’elle contient, auquel son corps réagit.
Pas une douleur, pas vraiment. Ni un honneur, il ne s'en croit pas digne ; il ne l'est pas ; on ne peut penser l'être.
Il y a un gouffre entre eux, entre ce nom et lui, entre ce nom et tout autre nom. Mais c'est un gouffre que l'on peut visiter, dans lequel on se glisse, s'y perd volontiers, on y vivrait sans doute. Pourtant il faut en ressortir ; visiteur on ne peut y rester, l'habitant, le vrai, vous rejette un peu, en silence mais on comprend qu'il faut partir, tourner la dernière page et ce vide qu'elle contient. Il faut laisser le mystère au gouffre, à ces recoins.
On y reviendra.
Je crois qu'il aimerait pouvoir en faire partie, que ce soit un peu son gouffre, et c'est ce que vous lui diriez presque.
Mais il ne peut l'entendre. Il se dit qu'il ne le doit pas.
Par cette question vous réaliseriez tout pour lui d'un coup : révélation du désir, possibilité de le réaliser, obscénité de le dire, incongruité d'y avoir cru un instant, honte, douleur du rejet.
Il devrait prendre un temps avant de répondre, mais il ne le prendrait pas, irait trop vite, mâcherait des explications pour dire que non, que ça n'est pas possible — mais merci, il dirait merci, beaucoup trop —, fanfaronnerait peut-être.
Non, ne fanfaronnerait pas, pas avec vous, pas à ce propos. Même pour s’en faire un masque, il ne le ferait pas.
Il ne fanfaronne qu'avec lui-même à ce propos, car bien entendu ce que vous pensez, ce que vous dites avoir senti, bien que se le cachant, il l'a senti, le sait, le pense dans l'intimité de ses circonvolutions, joue avec comme d'une flamme un pyromane le ferait, .
Sa voix glisserait imperceptiblement vers le chuchotement, marcherait au bord de celui-ci. Vous ne le sauriez même pas, écoutant sa réponse, mais pour lui il y serait déjà tombé, au fond, là où le silence,
seul,
existe.
Il se tairait vite, ne finirait pas ses phrases. Les suivantes surgiraient, des sursaut, pour se hisser hors du silence qui en dirait beaucoup trop.
Il y aurait aussi un frisson jusque sous ses cheveux, il le cacherait dans un sourire, mais ses yeux se plisseraient, deviendraient durs au lieu de rieurs.
Un peu comme ça.
Vous vous sentiriez rejeté d'une complicité que votre question en forme de compliment voulait instaurer.
Un froid, dit-on, mais il ne vous en voudrait pas. Il ne veut pas en vouloir à ce propos à qui que ce soit. Quoi qu'il soit dit. Tant des reproches que ce vous lui dites. En vouloir pour des reproches, ce serait un aveu, encore.
Que resterait-il de cette question ? Assurément, il la regretterait. Il savait que vous la lui poseriez ; il s'y est préparé, y a beaucoup répondu, seul face à lui même, sachant qu'il se mentait. Qu'il vous mentirait. Maispourtant ce mensonge, tout bancal qu'il est, avec son frisson, ses silences, c'est tout ce qu'il a. Il regreterait, votre question, son mensonge.
Pourtant, il pourrait en parler, il l’a déjà fait, mais il choisit ses moments, et avec vous ce ne serait sans doute pas le bon. Ou pas pour dire ce que vous lui diriez, pas comme ça ; cette question. Ce compliment.
Ne la lui posez pas.

Un temps.

Vous la lui poserez.
Il tremblera.
Il savait que vous la lui poseriez.

4 avr. 2008

Imaginer (radio)

Souvenir d’enfance, des reportages radio dans lesquels le micro passait la porte, montait l’escalier, les bruits de la rue, atténués par la fenêtre ; on entrait dans le reportage comme chez l’intéressé.
Alors quel plaisir d’aller passer un peu de temps sur freesound, une base de sons sous licence creative common, grandissante et bariolée.
Ici aussi bien des sons captés que des montages ou de mix complets.
Les morceaux sont bien étiquetés et on peut facilement et rapidement les écouter et les boucler (inscription nécessaire pour les télécharger).
On y trouve aussi bien des extraits très courts utiles aux montages que de longs arrangements, comme cet orage (1h15) ou ce feu de forêt. Ne manquent pas un foule d’oiseaux, de marcheurs et même les cloches de la cathédrale de Saint Etienne !
Il y a aussi des « pack » tout fait, des machines, des instruments de musique et de quoi remplir une trousse à outils.
Ça changera de ça.

Alors y ajouter une voix ?

PS : Pour le montage « open sources » le facile à utiliser audacity et le très (trop) complet ardour.

3 avr. 2008

Imaginer (revoir la mer)


Nous allons bien (pas la voiture)

Puissance car dans ces langues successives qui ne t’atteignent pas — y veiller sans relâche, ne pas avancer jusqu’à la tentation — tu sens encore la masse de l’eau, loin, écrasée de nuages, les sursauts des vagues à perte de vue, volutes d’écume, moutons.