31 déc. 2008

Imaginer (cerf-volant)

   Assise finalement cependant que debout depuis le matin. Depuis le matin tôt, debout de places en places, au rythme quotidien des jours d’hier. Ayant finalement cédée à cette soudaine nécessité de l’assis, tandis que passant devant cette place où s’assoir sans que jamais ne s’y soit jamais auparavant. Et jamais tant eu l’idée que la nécessité de le faire bien qu’y passant souvent ; au point que n’ayant jamais vraiment vu cette place pour assis ou une des autres, pour assis aussi, parfois non présents malgré leurs ombres encore longtemps gravées. La leur ou celles ce ceux à venir.  Assise donc à l’une des places qu’elle ignore au long du jour, que d’autres y soient ou pas, cependant qu’elle, de places en places, rythme des jours d’hier.

   Non pas assise à cause du tremblement survenu depuis qu’a cessé le pas. Ça su. Le tremblement non-cause. Pas même un pressentiment de tremblement, une anté-idée. Car jamais n’en a connue de cette sorte, lent et profond, comme issu d’un autre qu’elle qui l’aurait prise dans ses bras jusqu’à lui communiquer ces sursauts trop réguliers. Est-il pressentiment possible d’un inconnu ? Une crainte d’un non advenu qui n’aurait d’autre expression que la nécessité soudaine de l’assis ? Non su. Ne tremblerait alors pas mais serait tremblée, lentement tremblée comme bercée. Nul froid non plus qui l’y pousse — elle a même plutôt chaud, assise sous le poids des couches accumulés qui l’assaillent. Elle  n’en tremble pas moins, sans qu’aucune partie de son corps n’en porte la moindre trace, le moindre frisson sous la chair.

   À regarder ses mains un fil en partirait, haut, souvenir d’un cerf-volant qui, grondant si loin qu’un rien finalement vu au vent, raisonnait dans son fil son combat perdu, jusqu’à la rupture qui la laissa seule, le souvenir entre les mains du soudain creux qui l’envahi alors.

21 déc. 2008

Imaginer (lacune)

Au début imaginer une police lacunaire, avec pour prétexte moins d’encre sur le papier. Mais c’est aussi créer un vide supplémentaire,  tout invisible qu’il soit, donner au mots plus que le crénage, plus que les interlignes, plus que les marges, laisser ce qui vit en ces espaces gagner un encore, un plus, dans le texte, jusqu’au plus profond du mot, au cœur des lettres. Et dans ces creux infimes ajoutés, toute la place d’une richesse supplémentaire, le poids des mots eux-même à y résonner. Naîtra peut-être d’autant plus l’envie de moins de mots, d’une dilatation des blancs, d’oublier les rugosités des articles, les monts majuscules, les chausse-trappes virgules. On blanchira les voyelles jusqu’à l’oubli, le pâle fantôme d’un « e » impalpable finalement. Et puis, ensuite, naturellement…

Il aurait fallu s’arrêter avant le blanc total, laisser au vide suffisamment de marges-mots pour lui conserver son flux. À quel moment ?

19 déc. 2008

Imaginer (½ vie)



    — Si ce n'est pas la terre — qui ?

   — Elle encore, au dedans d’elle, au plus profond de ce qu’elle est. Creuser, sans nécessité de plus qu’une poignée, la moitié d’une, tant qu’elle est la bonne. Se baisser jusqu’à elle, Terre, lente révolution et rotation, jusqu’à la poignée, de laquelle extraire le grain, l’infime, mais constituant d’elle pourtant, et donc elle-même, grain en révolution, poignée en rotation quotidienne autour du centre chaos.
Attendre encore, et compter. Être l’assis, révolution et rotation, qui compte et attend la transmission d’infimes, mort des noyaux et leur renaissance en d’autres plus infimes encore — quelques échappés de la bataille e⁻,  γ, donc E. Le temps non plus ajout, addition de tours, retour au départ une fois la boucle, mais fin, scission, fission, du noyau lui-même et du temps nécessaire à ce qu’une ½ quantité cesse et renaisse autre + E. Non plus retour à bout d’élipse mais ½ vie par ½ vie la marche lente vers la dernière fission, la dernière ½ morte restante.
On creuse encore, on cherche la terre pour ces rien de césium à faire vibrer, pour ces quelques γ émis qui disent lentement, les micro temps qui s’accumulent. Reste pourtant, dans fond du temps, au le creux de la vibration, l’incertitude — de 5.10⁻16 seconde ? — avant que le doigts ne s’abatte sur la touche.

6 déc. 2008

Imaginer (jusqu’)

Mon cher Antoine,

Nuit comme tu en connais peut-être, obscurité profonde du plus loin du vu jusqu’au plus profond des écarquillés, comblés d’une sombre opacité impalpable. Ne restait que ce vent comme jamais jusqu’alors, mordant à pleines rafales tout l’au-delà. Rues, maisons, léchant patiemment les murs et le toit tout autour. Mais plus que simplement autour, plus près, jusqu’aux dernières limites de l’impalpable. La pluie elle même dispersée, seules quelques gouttes parvenaient par semis échevelés sur les vitres et sur le zinc. Ces vibrations en cavalcades auraient dû esquisser une limite mais l’assourdissement grandissant transposait les vitres et zinc à portée de peau. L’obscurité saturée de vent avait réduit à rien ce qui distance habituellement l’enceinte mur de l’enceinte peau. Fenêtre en poitrine, plexus de verre, ventre zinc, mais rien à y dégouliner, nulle rigole à suivre les plis, pourtant la violence de chaque percussion se détachait des murs pour courir jusqu’à moi sans m’atteindre jamais, seul le risque le faisait. Était-ce encore de la pluie ?

Les mugissements étaient tels qu’on les aurait facilement crus tournoyant dans la maison, bousculant les murs, ne s’attaquant étrangement pas à la bulle de chaleur où nous étions encore, couchés comme endormis. Ne dormant pas. Nulle assurance qu’allumant la lumière la maison ne se dévoilerait pas pour défigurée, le monde détruit tout autour. Il aurait fallu se rendormir sur l’incertitude de cette obscurité. Je ne dormais pas. J’étais, dans ce noir absolu illuminé du seul vent, deux écarquillés dont pour finir le doute du bleu. Attendre guetter. L’inévitable. Jusqu’au moment où le toit ne s’envolera pas, où ne plus être en instance de dispersion. Être, n’être, qu’attente, en ce que tout clamait la sécurité, la chaleur, mais c’était soudain augmenter les chances que ça survienne. Quoi que ce soit. L’encourager. Debout pour finir. Tout plus calme que la crainte ne le disait, l’escalier grinçait dans un presque silence quand la plante des pieds n’a pu fuir le froid des marches.

Confirmation, claire dans la nuit, de tous ces jusqu’où tu te dois d’attendre si souvent que ça ne s’écroule ni ne s’envole. Toutes ces immensités qui t’y contraignent et ne sont pourtant qu’une nuit de plus, quelques gouttes, du vent. Tu te lèves, pieds nu sur carrelage. Nécessité d’une attente qui ne peut se faire allongée, passivement rivé sur le noir absolu illuminé de quoi alors ? Était-ce vraiment cette nuit là l’impossible clarté du vent qui me levait ? Quelles sont-elles les certitudes nuit qui te poussent à marcher ? Déambuler disent-ils. Pourtant il est trop peu, trop petit, trop anodin, ce « marcher sans but ». Car c’est bien marcher qu’il faut, et le but est impérieusement là, dans cette marche elle-même. Que le pied heurte le sol, que le talon le dise à la jambe jusqu’au plus haut du possible, la vibration pour combler la nécessité sans adjectif, sans nom, muette et aveugle, mais nécessité donc contre laquelle sur le moment seule la marche semble combat. Résistance au moins. Vibration du tremblant soi contre le tout autre qui approche jusqu’à l’orée du palpable, insaisissable à jamais.

Ce matin le ciel bleu, limpide, et ce n’est qu’en lui, longtemps après la marche, que je trouve la confirmation de la tempête qui l’a lavé du gris des jours précédents. Le bleu reste. Après le vent, la pluie chassée et la lente marche en rond de soi dans l’espace clos seul disponible, bien entendu, pour finir, les bleus restent ; une paupière de nuage, un trait blanc au dessus par endroits, un cillement les laves. Tu souris, je ne sais pas si c’est une victoire, mais tu souris, et marches.